SŒUR DE MME R. – Je suis née le jour de la mort de Virginia Woolf
Vous connaissez ?
NIELS. – J’ai lu Les Vagues
Mais c’est à peu près tout
SŒUR DE MME R. – « Aimer vous condamne à la solitude »
NIELS. – C’est de vous ?
SŒUR DE MME R. – C’est d’elle
NIELS. – « Aimer vous condamne à la solitude »
SŒUR DE MME R. – « Aimer vous condamne à la solitude »
C’est plutôt bien vu non ?
NIELS. – Je ne sais pas
SŒUR DE MME R. – Vous êtes amoureux en ce moment ?
NIELS. – C’est vous qui m’intéressez Madame
Moi ça n’a pas/
SŒUR DE MME R. – Vous ne pouvez pas être le seul à poser des questions
Vous êtes mon invité
NIELS. – C’est votre sœur qui nous a parlé de vous
SŒUR DE MME R. – Pardon ?
NIELS. – Enfin
Elle ne vous a pas explicitement nommée
C’est Daniel
SŒUR DE MME R. – Mon neveu
NIELS. – Son fils oui
C’est lui qui nous a le plus aiguillés
SŒUR DE MME R. – Il a toujours été passionné de géographie que voulez-vous
NIELS. – Vous me dites si ça vous gêne d’en parler
SŒUR DE MME R. – De quoi ?
NIELS. – De votre sœur
De ce qu’il s’est passé entre vous
SŒUR DE MME R. – C’était il y a trop longtemps
NIELS. – Elle dit que vous auriez eu des mots sévères à l’égard de Daniel
Que vous lui auriez reproché son
Problème
SŒUR DE MME R. – Elle a dit « problème » ?
NIELS. – Je ne sais plus
Et que vous auriez alors coupé les ponts
SŒUR DE MME R. – Vous voudriez croire à son histoire
NIELS. – Non je/
SŒUR DE MME R. – Si
C’est plus simple je comprends
NIELS. – Vous êtes libre de vous exprimer comme vous l’entendez
SŒUR DE MME R. – Moi j’ai été amoureuse deux fois
Une première fois du seul homme que j’ai connu
Et que j’ai épousé à Granville le 13 juillet 1961
NIELS. – Et la deuxième fois ?
SŒUR DE MME R. – Quelques années après nous sommes revenus à Granville pour nos vacances d’août
La mer était particulièrement tiède vous voyez
Très agréable
Mon mari lui n’aimait ni les galets qui vous poussent entre les orteils
Ni les vagues ni les mouettes ni rien
Lui son dada des congés c’était les mots croisés et parler de longues heures avec de parfaits inconnus
Bon
Alors moi je me conduisais toute seule à la plage
Bien obligée
Et puis vers le quatrième ou cinquième jour je l’ai vue
NIELS. – Qui ça ?
SŒUR DE MME R. – Elle fouillait le sable sous l’eau barboteuse
Un seau à moitié rempli de coques sous le coude
Son pantalon lui remontait aux genoux
Elle rigolait à chaque fois qu’une vague venait mourir contre ses chevilles
Je crois que je suis tombée amoureuse presque immédiatement quand elle s’est retournée
NIELS. – Mais alors
Donc
Avec votre/
SŒUR DE MME R. – Avec ma sœur ?
Oui j’ai eu des mots terribles
Ma langue a été plus féroce que ma pensée
Mais quand vous voyez comment c’est d’aimer quelqu’un du même sexe que vous aujourd’hui
Tous ces préjugés dangereux qui persistent
Vous imaginez bien qu’à l’époque il ne s’agissait même pas de juste en parler
Je suis donc partie ce jour-là
Le 14 mars 1974
Un jeudi
Pas à cause de la dispute qui nous opposa
Mais pour l’amour
Loin du jugement de la famille que je savais par avance terrible et sans retour
NIELS. – Mais pourquoi n’avoir pas tout dit à votre sœur
À vos proches ?
SŒUR DE MME R. – Parce que l’amour peut contraindre
Ça peut retenir et c’est/
Il n’y a pas que le désamour qui désunit vous comprenez ?